ŒDIPE.
Enfant du vieillard aveugle, Antigonè, en quels lieux, dans la ville de quels hommes sommes-nous arrivés ? Qui accueillera aujourd’hui, avec de maigres dons, Œdipe errant, demandant peu et recevant moins encore ? ce qui me suffit cependant, car mes misères, le long temps et ma grandeur d’âme me font trouver que tout est bien. Mais, ô enfant, si tu vois quelque endroit, dans un bois profane ou dans un bois sacré, arrête et assieds-moi, afin que nous demandions dans quel lieu nous sommes. Puisque nous sommes venus et que nous sommes étrangers, il faut faire ce qu’on nous commandera.
ANTIGONE.
Très malheureux père Œdipe, autant qu’il est permis à mes yeux d’en juger, voici, au loin, des tours qui protégent une ville. Ce lieu est sacré, cela est manifeste, car il est couvert de lauriers, d’oliviers, et de nombreuses vignes que beaucoup de rossignols emplissent des beaux sons de leur voix. Assieds-toi sur cette pierre rugueuse, car, pour un vieillard, tu as fait une longue route.
ŒDIPE.
Assieds-moi et veille sur l’aveugle.
ANTIGONE.
Il n’est pas besoin de me rappeler ce que j’ai appris avec le temps.
ŒDIPE.
Peux-tu me dire sûrement où nous nous sommes arrêtés ?
ANTIGONE.
Je sais que voici Athèna ; mais, ce lieu, je ne le connais pas.
ŒDIPE.
En effet, chaque voyageur nous l’a dit.
ANTIGONE.
Veux-tu que je marche en avant pour demander quel est ce lieu ?
ŒDIPE.
Oui, enfant, et, par-dessus tout, s’il est habité.
ANTIGONE.
Certes, il l’est. Mais je pense qu’il n’est pas besoin que je m’éloigne, car je vois un homme qui vient.
ŒDIPE.
Vient-il ici ? se hâte-t-il ?
ANTIGONE.
Le voici. Tu peux lui parler et l’interroger : il est là.
ŒDIPE.
Ô Étranger, ayant appris de celle-ci, qui voit pour moi et pour elle, que tu viens opportunément afin de nous enseigner ce dont nous ne sommes pas sûrs…
L’ÉTRANGER.
Avant d’en demander davantage, lève-toi de là, car tu es en un lieu qu’il n’est pas permis de fouler.
ŒDIPE.
Quel est ce lieu ? Auquel des Dieux est-il consacré ?
L’ÉTRANGER.
Il est interdit de le toucher et de l’habiter. Les terribles Déesses qui le possèdent sont les filles de Gaia et d’Érébos.
ŒDIPE.
Sous quel nom vénérable les invoquerai-je ?
L’ÉTRANGER.
Ce peuple a coutume de les nommer les Euménides qui voient tout ; mais d’autres noms leur plaisent ailleurs.
ŒDIPE.
Plaise aux Dieux qu’elles me soient propices, à moi qui les supplie ! Mais je ne sortirai plus de ma place en ce lieu.
L’ÉTRANGER.
Qu’est-ce ?
ŒDIPE.
Telle est ma destinée.
L’ÉTRANGER.
Certes, je n’oserai pas te chasser de ce lieu avant de savoir des citoyens ce qu’il faut faire.
ŒDIPE.
Par les Dieux ! ô Étranger, je t’en conjure, ne me refuse pas, à moi, vagabond, de me répondre sur ce que je te demande !
L’ÉTRANGER.
Demande ce que tu veux, car tu ne seras point méprisé par moi.
ŒDIPE.
Dis-moi donc, je te conjure, quel est ce lieu où nous nous sommes arrêtés !
L’ÉTRANGER.
FIN DE L’EXTRAIT
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